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Paul Valéry, "Enfance aux cygnes"

 

Paul Valéry, "Enfance aux cygnes." Text and Translation.

Paul Valéry, "Enfance aux cygnes" (Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade,

1957, p. 297. (Trans. A. Winandy, Frances Chew and Emmett Gossen).

From C. A. Hackett, "Valéry and the Swans. "Yale French Studies, No. 44, Paul Valéry (1970), pp. 148-156.

 

 ENFANCE AUX CYGNES       

           J'étais un enfant qui marche à peine. Ma bonne tous les jours me menait dans un jardin public, montueux, compliqué de rocailles : il y avait un bassin dominé par un farouche Neptune de fonte, peint en blanc, orné de sa fourche à triple dent.

         Des cygnes vivaient sur ce bassin. Un jour, ma bonne, m'ayant mis à terre sur le bord, je m'amusais à jeter des graviers dans l'eau sombre, avec toute la maladresse d'un bébé chargé d'un manteau et de collerettes roidement empesées qui l'engoncent. La bonne s'éloigna quelque peu dans les feuillages où l'attendait un sous‑officier plein d'amour.

         L'enfant avait une grosse tête et des membres faibles. Comment ne fût‑il pas tombé dans l'eau ?

          Le voici parmi les cygnes, flottant par le soutien des robes empesées qui formaient poches d'air.

          La bonne et le soldat, tendrement disparus, ignoraient le grand péril de mon petit destin. Et les cygnes, sans doute, s'étonnaient de ce cygne inconnu parmi eux, leur pareil par la blancheur; mais cygne improvisé qui commence à sombrer, car le manteau s'imbibe, et les collets et les robes. L’enfant déjà a perdu connaissance.

         Pourquoi quelqu'un l'aperçut‑il?

         Le plus fort était fait…

          Cet homme brusquement entre dans l'eau, divise, épouvante les cygnes, et rapporte à la vie le pâle MOI évanoui.

         Il l’emporte chez lui, lui fait boire une gorgée de rhum.

        Mon grand-père voulait tuer la bonne.

ENGLISH VERSION

 I was a child yet hardly walking. Every day my nurse-maid took me to a park which was hilly with intricate rockwork. There was a pool ruled over by a fierce cast-iron Neptune, painted white, armed with a tripronged fork. There were swans living there. One day, when my nurse- maid put me down on the edge, I amused myself throwing pebbles into the dark water, with all the clumsiness of a baby incumbered by a coat and stiffly starched collarettes. The nurse-maid slipped away into the trees where an amorous sergeant awaited her. The child had a big head and weak limbs. How could he keep from falling into the water.

And there he was among the swans held up by the starched dress which formed its own air pockets. The nurse- maid and the soldier absorbed with each other had disappeared, unaware of the grave danger threatening my small destiny. And the swans undoubtedly were wondering about this unfamiliar swan [cygne inconnu] among them, as white as they; but this gradually built swan [cygne improvise] was already starting to sink as the coat, the collars and the dress grew heavy with water. The child already had lost consciousness. Why did somebody have to see him? The hardest part was over.... The man suddenly stepped into the water, frightened off the swans, and brought back to life the pale unconscious SELF. He carried him home, made him take a swallow of rum. My grandfather was ready to kill the nurse-maid.